La terre est si belle vue du ciel
J'ai été au bout du monde, au plus loin possible, de l'autre côté, et j'ai revu en chair et en os deux personnes que je ne connaissais plus que visages pixellisés et voix décalées, j'ai écrit ailleurs, pour donner de mes nouvelles, j'ai pensé à écrire d'autres choses mais sans le faire vraiment, puis en revenant je me suis reconnectée ici, avec le même engourdissement que lorsqu'on reprend son trousseau de clés de maison après de longues vacances - un engourdissement familier, tout aussi naturel que perturbant -, j'ai repris le travail avec (trop) d'entrain, eu plein d'aventures notables avec des lecteurs, j'ai été à une fête de profs, revu des amis, changé d'ordinateur, et tout cela aurait à chaque fois pu faire l'objet d'un billet ici.
Je venais ici, j'ouvrais la porte, je la refermais.
Amusant comme tout se fait naturellement, cet endroit n'est plus mon endroit, et je ne sais pas pourquoi. Si c'était mon petit copain je lui dirais "on reste amis". Et il ne voudrait pas et je ne le verrais plus jamais. Là au moins je peux revenir si je veux. Mais je n'y suis plus bien.
Et puis avant-hier j'ai écouté Clémentine, et je me suis rappelé que c'était elle aussi Clémentine, qui part dans sa bulle bleue, et pour qui tout va beaucoup mieux quand Héméra lui tend les bras, et tout a été si parlant.
Ce soir, je suis retournée faire du théâtre.
Oh, un atelier comme il y en a mille à Paris : cher, plein de mots-concepts, de garçons échevelés, de filles avec les doigts qui sortent du pull, de volontaristes agaçants. C'était juste une réunion de contact et je ne sais même pas si je vais réellement m'inscrire.
Mais j'y suis retournée. Ce n'est pas dicible, ce que ça signifie.
J'ai à nouveau visionné, comme ça m'arrive cycliquement, le chemin parcouru. Mon chemin plein de pointillés, dont j'essaie de faire un dessin cohérent, régulièrement. Quand je pense que lorsque je rencontre des adultes je ne dis plus "Eh bien moi, je suis actrice", que ma belle-famille me connaît comme prof reconvertie bibliothécaire et non en Scarlett Johansson de Match Point... Aujourd'hui ça me paraît normal. Et confortable.
Mais je n'oublie pas que je l'ai été, que j'ai connu ces moments-là, où on te dit "Mais combien de temps vas-tu insister ?" et que tu veux partir sous la pluie, et ce ne sont pas de bons souvenirs mais ils sont importants, et je sais aujourd'hui pourquoi tout ça c'était trop pour la petite insecure que je suis.
Clémentine avait des ennemis vilains mais bien définis, et elle avait sa protectrice, elle était rousse et avait une robe bleue, et son chat roux s'appelait Hélice.
Non, décidément, je n'aime plus écrire ici.