My so-called best friend
Il a été mon ami, mon frère, l'objet de mes désirs, mon co-rêveur, mon
co-cinéphile, mon meilleur ami en espérant plus, mon meilleur ami gay,
mon colocataire, mon ex-colocataire, l'objet de ma haine, puis, malgré
l'absence d'excuses ou d'explications, de nouveau mon ami.
J'ai été longtemps si proche de lui qu'il m'a été difficile d'accepter sa médiocrité, sa lâcheté, son égocentrisme.
Il m'a fallu une bonne ellipse, sans contacts, pour oublier tout ce négatif.
Et puis.
Des rendez-vous dans des cafés.
Des cadeaux d'anniversaires mutuels dans des petits restos.
Des séances photos de vacances - surtout les siennes.
Des esquisses de nouveaux projets cinéma à deux.
Et puis.
Une fête d'anniversaire à laquelle je l'invite, une bonne excuse. Et
puis une autre. Une autre excuse, moins bonne. Et puis je ne sais
quelle autre festivité, et une autre excuse fumeuse.
J'aurais
dû me douter, puisqu'au lycée tout avait commencé comme ça. La fête de
Fanny en fin d'année. Moi dans ma plus belle robe achetée pour
l'occasion, lui invité dans un but assez clair. Ses promesses de venir,
ses sourires, jusqu'au dernier moment. Et finalement, moi, seule, en
tête à tête avec un mec qui me drague en laissant couler sa bière sur
mes bras. Mon désespoir sur les rives du lac avec les potes cyniques.
A cette époque déjà j'aurais dû ne pas pardonner, me détacher. Cela m'aurait évité beaucoup de déceptions.
Aujourd'hui, je crois que je ne parviendrai pas à pardonner, ce mail, ce mail immature prétextant des vacances prévues - alors que, me méfiant, je l'ai prévenu au téléphone des mois auparavant et qu'il m'avait assuré de sa présence. Il ajoute maintenant avec un humour douteux que bon, l'important c'est aussi les cadeaux et me demande, avec force points d'exclamation, de lui envoyer ma liste de mariage. Pas de chance. Pas de liste. Je crois qu'au fond je ne veux plus rien de lui de toutes façons.
Je réfléchis à ma colère et je constate qu'il n'a jamais voulu
venir. A aucune de ces invitations, il n'a jamais prévu de dire oui. Et
pour autant il n'a jamais eu le cran (si tant est qu'il faille du cran
pour ça ?) de dire simplement non. Clairement et gentiment.
Evidemment, derrière tout ça, se cache en filigrane le fait que, de même,
il n'ait jamais voulu de moi, mais qu'il me l'ait laissé croire,
longtemps, jusqu'au dernier moment. Jusqu'à ce que je trouve quelqu'un
pour me sortir de là - histoire d'ailleurs condamnée d'avance vu mes
motivations premières. J'y ai une part de responsabilité et je
l'accepte. Lui, s'en est-il seulement rendu compte?
L'enterrement de vie de jeune fille est quelque chose de tellement
con en soi - la jeune fille, elle vient avec moi, désolée - que je n'ai
vraiment pas prévu d'organiser ou de faire organiser quoi que soit dans
ce sens.
Néanmoins, puisqu'on parle d'enterrement, j'avoue qu'il y en a un ou
deux que j'aimerais ensevelir, très profond, dans la terre, ou
incinérer, faire disparaître, éparpiller, pour ne plus avoir en moi
cette haine qui me consume et me fait me sentir moins que rien alors
que je devrais être la princesse du moment.
Clementine. Eternal Sunshine of the Spotless Mind. Une fille un peu
timbrée avec des cheveux oranges qui ne va pas bien et qui ne sait pas
pourquoi. La raison, c'est qu'on lui a effacé certains souvenirs, à sa
demande. Mais l'âme humaine n'est pas si simple.
Moi aussi j'ai effacé.
Et régulièrement, le malaise revient. La haine. Sans que je sache trop d'où.
"Oui, j'y voyais clair soudain : la plupart des gens s'adonnent au
mirage d'une double croyance : ils croient à la pérennité de la mémoire
(des hommes, des choses,
des actes, des nations) et à la possibilité de réparer (des actes, des
erreurs, des péchés, des torts). L'une est aussi fausse que l'autre. La
vérité se situe juste à l'opposé : tout sera oublié et rien ne sera
réparé. Le rôle de la réparation (et par la vengeance et par le pardon)
sera tenu par l'oubli. Personne ne réparera les torts commis, mais tous
les torts seront oubliés."
Milan Kundera, La plaisanterie
[La robe a resservi, et comment, Dieu merci]