Dans les gouttes, des échelles en verre
802 Hull Street (@Library of Virginia)
Vendredi dernier, non, celui d'avant, arrivée à la Gare, je savais que je n'aurais pas à
prendre le TGV pendant 5 semaines et que j'allais enfin pouvoir
souffler, et puis quelques heures plus tard, en soirée, marchant dans
mes rues parisiennes les plus familières avec mon O, quand j'ai vu que
j'avais encore cette sensation de flottement, comme étrangère à
moi-même et à mon environnement, j'ai su qu'il allait me falloir du
temps.
[Je ne suis jamais réellement revenue de New York.
Une partie de moi
y est restée, c'est peut-être pour ça que, à côté du fait que je
n'ai absolument pas envie d'y retourner d'ici peu, je suis comme
obsédée, par moments, par des images de là-bas, comme si une autre moi y était coincée, et m'envoyait des signaux.]
De retour au Vaisseau depuis plus d'une semaine, ça a été un peu dur. Retrouver le gigantisme des couloirs, les procédures, les relations de travail, tout ça n'a rien à voir avec la vie à Laïonne - qui, malgré tout, ressemble davantage à une vie d'étudiante, la jeunesse en moins.
Retrouver le stress, retrouver les pressions, retrouver les inquiétudes, retrouver ce monde d'adultes. Je me dis parfois, comment ces gens en arrivent-ils à être aussi sérieux ? Je fais semblant, un peu, d'être comme eux, mais s'ils savaient comme je m'en fous. Comme la gamine en moi a envie de pisser dans leurs bottes.
Quoi qu'il arrive, je dois tout de même faire attention à ne pas devenir l'une de ceux qui font semblant d'être sérieux toute la semaine et qui se "lâchent à fond" le week-end, pour compenser. Quand je vois la transformation qu'a le travail sur certains ex-glandeurs de mon entourage, ça me fait un peu peur. La fierté de travailler. Ils se sentent propres. Grands. Respectés. Le boulot est chiant oui, mais autant s'y faire, s'y plaire. S'en plaindre si nécessaire. Hors travail, ils "délirent". "Sortent". Font la "teuf". Prétendent être restés des ados.
Ils deviennent les pires adultes du monde. D'une tristesse.
A midi, je me suis même retrouvée à la cantine, alors que j'avais réussi à l'éviter jusque là. En décalage dans mon travail par rapport à mes collègues, j'y ai mangé seule. Ce qui n'est pas forcément pire. Derrière moi, un groupe à une table s'amuse à trouver des mots ou expressions qui commencent par "la ré-", "la rè-", "l'arrêt" et tout ce qui est phonétiquement équivalent. Après 5 bonnes minutes de rires autour de la raie du cul, ils lancent chacun leur tour les mots qui leur viennent, la réminiscence, la rémission, la rémanence. Dans ce genre de groupes il y a toujours un pauvre gars ou une pauvre fille qu'on n'entend pas, et les autres redisent le mot qu'il ou elle a dit, et elle n'ose pas dire qu'elle l'a déjà dit, alors elle acquiesce, valide, hoche.
En général cette fille c'est moi.
Je suis contente de changer d'air, demain Eurostar, mais mon anglais n'a pas beaucoup été pratiqué, et encore moins dans mon milieu professionnel, qui se trouve être rempli d'un jargon bien spécifique. Moi qui suis déjà perdue en temps normal parmi des inconnus, je tremble un peu à l'idée de ne pas comprendre ce qu'on me dit et de ne pas savoir poser les bonnes questions.
Hier j'ai déjeuné au bord de l'eau, il faisait froid mais c'était beau - les péniches, les gens des bureaux qui marchent, toujours trop vite, la passerelle, les rollers sur les planches, le soleil sur la Seine, le métro aérien tout petit au loin comme une maquette, si précis, si clair, ça m'a réconciliée. Avec quoi je ne sais pas.
Je lis des infos sur des milliards, d'euros ou de je ne sais quoi, je ne sais même plus ce que c'est, ce que ça veut dire. Je pense à plus tard, dans des dizaines d'années, quand nous aurons perdu tout notre petit confort, nos petits gadgets, et encore plus tard, quand il n'y aura plus d'eau, et encore plus tard, quand le soleil dessèchera les océans avant de nous engloutir.
[Je ne suis jamais réellement revenue de New York. Ces sensations de fin du monde à la vision de cette vie forcée et acharnée ne me quitteront jamais.]
On m'apprend que je suis en page d'accueil de Canalblog aujourd'hui, bienvenue à vous braves gens, c'est une erreur malheureusement, ici il n'y a pas grand-chose, juste quelques mots, rarement les bons, mais parfois si, et pour le parfois, je continue, toujours, quand ça me prend.