Audrey Hepburn et la fin du monde
Vous avez dû remarquer, vous aussi, en passant dans un magasin Maison du Monde, ou chez Ikea, ou en allant chez quelqu'un qui s'y fournit (et qui, de nos jours, ne connaît pas au moins une personne qui fait sa déco faussement ethnique chez Maisons du Monde, ou faussement design chez Ikea ? Loin de moi de mépriser ces enseignes dont le coût n'est pas forcément toujours aussi bas qu'on le croit, mais qui offrent des choses parfois très jolies, parfois très laides, parfois faussement jolies, parfois faussement laides (mais en tout cas Maisons du Monde ils ont en particulier un fauteuil que j'aime trop trop) hop fin de la parenthèse ça suffit.) Comment passer à côté, disais-je - il faut bien que j'y arrive - de ces sortes de faux tableaux à l'effigie de Miss Audrey Hepburn, façon Breakfast at Tiffany's ? Dans mon avenue, c'est jusqu'aux boutiques-pour-pouffiasses (comprendre boutiques de vêtements à 10€ avec des leggins pour liliputiens en devanture - oui j'ai la haine, parce que oui, j'en ai acheté, 2, même, parce qu'ils étaient en promo, et que ce qui est censé t'arriver à la taille m'arrivait genre à mi-cuisse, et j'arrête avec les parenthèses) qui font leur déco de vitrine à base de ce tableau. Pire, même la drolatique Paris Hilton est allée récemment jusqu'à poser en imitation de ce fameux portrait (ce que, en soi, finalement, je trouve presque un peu moins pire que ces faux tableaux pourris). (Enfin non. Peut-être pas moins pire.)
Car enfin quoi ? Qu'est-ce que ça dit de toi, d'avoir Audrey Hepburn accrochée au-dessus du canapé ou de la télé plasma ? C'est surtout ça qui me laisse songeuse. Est-ce que c'est censé, je ne sais pas, définir ton côté absolument et intemporellement "chic" ? Sous-entendre que tu possèdes toi aussi cette sorte de classe internationale, vaguement sexy, un peu bling-bling (les perles, le fume-cigarette) mais pas trop (parce que bling-bling, tu le sais, c'est connoté à un mec pour qui tu n'as pas voté, d'ailleurs qui a bien pu voter pour lui rohlàlà qu'est-ce que les gens sont cons). Vous me direz, on met chez soi des choses qu'on aime. Mais c'est vraiment à ce point-là ? Un élan d'amour collectif envers Audrey Hepburn, cette tête-là en particulier ?
Bon, moi, ça n'aide pas, je n'ai jamais trop aimé Audrey Hepburn. Et alors, ça, c'est un peu un truc qui ne se dit pas, en bonne compagnie. C'est un peu comme parler de la texture de son caca ; il y a des gens que ça indispose, d'entendre qu'on n'aime pas trop Audrey Hepburn. Je crois même que ça participe assez au fait que je ne l'aime pas trop, Audrey Hepburn.
Pour moi Audrey Hepburn c'est un peu comme un chat persan. La bestiole un peu trop jolie, qui minaude, qui bouffe rien d'autre qu'un pâté à la con trois étoiles, qui se pavane sur des coussins, tout en gardant l'air modeste, les cils baissés, alors qu'au fond c'est possiblement une vraie salope. En plus non, elle avait l'air foncièrement gentille cette petite. Mais je ne sais pas. Un "je ne sais quoi" qui m'agace. Alors je pourrais ajouter que de toutes façons je préfère Katharine, mais c'est tellement agaçant, ça aussi, les gens qui disent préférer Katharine à Audrey. Parce que merde, c'est quand même tellement EVIDENT que Katharine a la classe, la vraie, que ça devient vulgaire de le dire. Et cette manie d'associer les deux, aussi, comme si elles étaient soeurs ou cousines. Mais je plaide tout à fait coupable, sur ce coup-là. D'ailleurs si ça se trouve Audrey Hepburn, je ne suis tout simplement pas mûre pour elle, et dans 10 ans j'aurai son portrait dans ma salle de bain. Et j'assumerai de porter ce t-shirt rose à l'effigie de Audrey Hepburn dans Breakfast at Tiffany's que j'ai, là, je le vois, j'en ai honte.
Alors voilà, déjà que l'image Audrey Hepburn me dépasse un peu, ça me trouble vraiment de voir cette image mondialisée et vulgarisée à l'extrême. Comme toute image, vous me direz, mais là, cette vague, ça me pose problème. Avant, il y avait surtout Marilyn, James Dean, ce genre de choses. Les posters que tous les ados cons ont forcément quelque part. Ou Jimi Hendrix s'ils se la jouent mélomane. Ou des bébés débiles de Anne Geddes si vraiment ils en tiennent une sacrée couche. Enfin, des destins maudits ou des niaiseries. Et maintenant, voilà, Audrey Hepburn. Le lisse par excellence. Et puis en même temps ça me chagrine, parce que j'ai beau ne pas l'aimer tellement, je me dis qu'elle mérite mieux que ça, que de figurer sur des millions de faux tableaux fabriqués en série par des petites n'enfants.
Et alors oui, quand je me mets à réfléchir à tout ça, à ces millions de tableaux qui défilent dans ma tête, eh ben c'est comme quand je pense au président et à tous ses électeurs qui défilent dans ma tête : ça me donne le tournis et ça me laisse penser que nous courons tous vers un abîme sans fond, et dans notre chute, nous nous accrochons à des symboles collectifs dont nous nous fichons éperdument de la signification. Pourvu que ce soit collectif. Pourvu que ça nous ait coûté un peu de notre argent. Pouvoir d'achat, pouvoir d'acheter Audrey Hepburn. C'est tout ce qui importe. Et quand tout ça défile dans ma tête, je me dis que la fin du monde est, définitivement et inéluctablement, très proche.