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Coccinelle et Clémentine
21 décembre 2008

Mele Kalikimaka

docsroses

Parmi toutes les choses qui me font me sentir tout à fait différente de la majorité des gens, il y a celle-ci : je ne me rappelle absolument pas du moment où j'ai arrêté de croire au Père Noël, et à vrai dire, je ne sais pas vraiment si j'y ai réellement cru. Si ça a été le cas, je pense que ça n'a vraiment pas duré longtemps du tout, pas assez longtemps pour que j'atteigne l'âge où on a de vrais souvenirs...
Et pourtant, je n'en ressens aucune tristesse.
Jusqu'à un certain âge, mes souvenirs de Noël sont tous émouvants, joyeux, chaleureux, et je les regrette énormément aujourd'hui.

Ce Noël où je devais avoir 2 ans et où mon grand-père paternel, qui depuis ma naissance déplorait que je ne fusse pas un garçon - mon père est fils unique, dernier à porter son nom - m'avait offert un camion à benne. Jaune. Rutilant. J'étais une petite fille et je ne savais pas trop ce qu'on pouvait faire avec un camion à benne, surtout qu'à l'époque nous vivions encore en appartement. Mais sa couleur, sa taille, me fascinaient et je l'aimais beaucoup. [Plus tard, j'ai compris tout le sous-texte de ce cadeau, l'indifférence de mon grand-père envers moi, jusqu'à sa mort, et quand j'ai choisi de ne pas effacer mon nom pour le remplacer par celui de mon mari, c'est aussi ce camion que je voyais.]

Noël, c'était à coup sûr une occasion d'avoir de nouveaux Playmobils, de développer mon univers, de pouvoir élargir le champ d'action de mes aventures. C'était à coup sûr l'occasion d'avoir des livres, des livres pour se distraire, mais aussi des livres pour s'instruire, des livres que je feuilletterais le soir dans mon lit, avide devant les images des Aztèques sacrifiant des jeunes filles en haut des pyramides, des Romains allant aux thermes, toutes ces choses que mon esprit a emmagasinées pour toujours et qui ont forgé une bonne partie de ce que je suis devenue.
Un ballon sauteur. Une malle en osier elle-même remplie de cadeaux. Une Barbie avec une robe "cristal" (je détestais les Barbies, c'est la seule qui avait mes faveurs). Un mille-papatte multicolore. Aladdin sur Megadrive, fini le lendemain. Une boîte de peinture. Des pots de Play-Doh à sniffer sans vergogne. Hôtel. Labyrinthe Master. Tant de choses.

Noël commençait bien sûr quelques jours auparavant ; je viens d'un pays où il fait froid l'hiver et où, quand j'étais petite, il neigeait, souvent. J'habitais sur une colline, alors, forcément, parfois, j'allais faire de la luge sur des pentes, avec la crainte des trous dont tout le monde parlait et où régulièrement, quelqu'un disparaissait. C'était rentrer avec les gants mouillés et glacés, manger un peu de neige amassée sur les feuilles de la haie de lauriers, malgré les cris de mon père, se réchauffer un peu à la maison, le temps d'un goûter (du pain, une couche de beurre, et des copeaux de chocolat), puis ressortir un peu, parce que même quand on est petit, on sait que la neige ça fond, on sait que les grands n'aiment pas ça, la neige, et que très vite les chasse-neiges et les saleuses auront tôt fait de transformer la jolie couverture blanche devant la maison en "gouillasse" marron qui fait splitch.

Et puis un jour, ma mère finissait par céder à mes demandes, et on allait chercher au grenier LE carton. Un carton vieux comme le monde que je reconnaitrais encore aujourd'hui entre mille, où se trouvaient toutes les guirlandes, boules, figurines, santons, qui venaient de mes grands-parents paternels et qui s'enrichissaient chaque année de nos propres ajouts. Il y avait des décorations qui devaient dater du milieu du siècle, qui m'effrayaient un peu, mais je les mettais quand même, me disant que ça ferait plaisir à mon père de revoir sur son sapin d'aujourd'hui les figures qu'il voyait, petit, sur son sapin d'alors.

Il y avait ensuite ces jours où je "descendais" au centre-ville pour acheter des cadeaux à ma famille. C'était très simple, à l'époque ; je n'avais pas conscience qu'un assortiment de mini-flacons de parfum Yves Rocher pour ma mère était un cadeau pourri, et d'ailleurs elle était contente quand elle l'ouvrait. Les rues étaient froides, les illuminations plus sobres qu'aujourd'hui, mais il n'y avait pas, tous les 100 mètres, des haut-parleurs crachant les horreurs de la variété internationale actuelle moisie déversée par la radio locale, qui me font désormais éviter toute incursion dans ces lieux mémorables.

Je passais des heures dans ma chambre, avec des papiers de couleur, des cartons, de la colle, des ciseaux, pour fabriquer les paquets-cadeaux les plus extraordinaires, en forme de pyramide, en forme de boîte aux lettres anglaise, en forme de cerf-volant. Je mettais dans l'élaboration de ces paquets tout l'amour que je portais à ma famille, et aujourd'hui encore, malgré le temps qui manque, et même, à cet instant précis, malgré un bras invalide, je ne peux que rarement me résoudre à faire faire le paquet cadeau par le personnel d'un magasin. A mon sens, le temps passé à emballer un cadeau est presque aussi important que le cadeau lui-même.

Plus tard, quand j'ai quitté la maison, ma mère attendait mon retour, le premier jour des vacances ; puis je n'ai plus pu rentrer assez tôt, et un jour, elle ne m'a plus attendue pour faire le sapin.
Aujourd'hui, je n'ai plus de vacances scolaires et j'ai un mari qui ne peut pas prendre de congés à cette période, alors, quand j'arrive, le sapin est déjà prêt, le carton est déjà rangé. Ce sont à des choses comme celles-là qu'il faut accepter de renoncer quand on a choisi d'être financièrement indépendant (et de ne plus être prof).

Aujourd'hui, je ne vois plus de neige, ou presque. Quand j'en vois, les gens autour de moi râlent. Les gens conduisent, alors forcément, la neige, ils n'aiment pas ça.

Aujourd'hui, Noël me désole, évidemment quand on est dégoûté de toute cette consommation futile, tout devient difficile, surtout dans une ville telle que celle-ci où Noël se résume à des magasins ouverts le dimanche. Offrir un DVD, un livre ou un CD me semble tellement impersonnel et banal que je me sens honteuse de le faire, mais je n'arrive plus à trouver l'idée géniale, chaque année. La source s'est tarie. De mon côté, je n'ai envie de rien, je n'ai pas de liste, de voeux, je n'ai besoin de rien et la petitesse de mon appartement freine, de toutes façons, la plupart des élans.

Aujourd'hui il manque simplement un ou plusieurs enfants dans mon entourage. Les cadeaux de Noël ne riment plus à rien comme ça.

L'essentiel pour moi est de revoir un peu mes collines mes ruisseaux mes sapins ma maison mon jardin mes framboisiers mon rosier et mon rhododendron. De traverser le centre-ville rénové, ses nouvelles décorations, ses passants dont je ne connais plus un visage sur dix. De sentir le parfum des biscuits de ma maman qui cuisent dans le four. De goûter les gâteaux de la voisine qui ont toujours ce goût de moisi et de rance, qu'on goûte quand même pour dire Aaaah celle-là elle changera jamais, elle les a encore préparés il y a 6 mois. De voir ma soeur zapper devant tout ce qui passe à la télé, fascinée par toutes les télés-réalités à la con et lançant des débats - sérieux - sur les sujets "abordés". De voir mon père subir toutes les invectives de sa fille aînée sans jamais réellement broncher. De voir ma mère paniquée et débordée à l'idée de préparer tous ces repas.
De penser que décidément, je ne pourrais pas vivre avec eux.
Mais que je ne pourrais pas vivre sans eux.

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Commentaires
H
Bonjour, et bonne année !<br /> Arrivée là par hasard, j'ai lu ton texte avec le plaisir de toutes ces évocations de la magie de Noël ! Mais que de tristesse aussi ! Pourquoi ne continues-tu pas comme lors de ton enfance, en gommant tout le côté commercial, en ignorant les râleries des gens, en continuant les jolis paquets faits avec amour ! Et ton mari peut sans doute t'attendre pour faire le sapin, même à une heure avancée ! La déco, ça fait partie de la fête !<br /> Mais je comprends ce que tu veux dire, cette année j'ai été un peu frustrée de mon Noël, parce qu'on n'a pu le préparer ensemble en famille, et on a dû se contenter d'un petit sapin minuscule tout prêt, pour des raisons de temps et de commodité (pour en savoir plus, viens chez moi !)<br /> Et c'est vrai qu'avec l'âge, les souhaits de cadeaux fondent, on s'offre ce que l'on veut quand on veut, alors les idées disparaissent...
M
Très long à lire (la feignasse que je suis se trouve dans l'incapacité à rester concentrée plus de 1mn43 sur un texte sous peine d'être prise d'une flemmingite aigüe), mais tu as un style et un don certain pour l'écriture. Il est très gréable de te lire.<br /> Au plaisir :).
R
Je ne suis jamais venue ici, on ne se connaît pas mais bonne année!
M
J'aime bien ce texte et il porte ta griffe: les mots portent à la fois les saveurs de l'enfance et une petite somme de désillusions.<br /> Joli texte dans l'écriture et dans ce qu'il raconte.<br /> Bonnes fêtes :)
Z
Vous arriveriez à me faire aimer de nouveau Noël, avec cette évocation douce-amère... Disons que quand c'est la douceur de l'amertume qui prime, et qu'on arrive encore à s'attendrir malgré tout ce qui, dans cette période, écoeure, ce doit être encore un coup de l'esprit de Noël !! <br /> Bon Noël dans vos collines, et qui sait, peut-être de nouveaux Playmobils ? (il n'y a pas d'âge pour cela)
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